Tableau Naturel des Rapports qui existent entre Dieu, l’Homme et l’Univers

L.C. de Saint-MARTIN - 1782

L’univers n’existe que par des facultés créatrices, invisibles ; les facultés créatrices de l’univers ont une existence nécessaire et indépendante de l’univers, comme mes facultés visibles existent nécessairement et indépendamment de mes oeuvres matérielles.

Indépendamment des facultés créatrices universelles de la nature sensible, il existe, encore hors de l’homme, des facultés intellectuelles et pensantes, analogues à son être, et qui produisent en lui des pensées ; car les mobiles de sa pensée n’étant pas à lui, il ne peut trouver ces mobiles que dans une source intelligente, qui ait des rapports avec son être ; sans cela, ces mobiles n’ayant aucune action sur lui, le germe de sa pensée demeurerait sans réaction et par conséquent sans effet.

Cependant, quoique l’homme soit passif dans ses idées sensibles, il lui reste toujours le privilège d’examiner les pensées qui lui sont présentées, de les juger, de les adopter, de les rejeter, d’agir ensuite conformément à son choix et d’espérer, au moyen d’une marche attentive et suivie, d’atteindre un jour à la jouissance invariable de la pensée pure : toute chose qui dérivent naturellement de l’usage de la liberté.

La liberté

Comme principe, la liberté est la vraie source de détermination, c’est cette faculté qui est en nous de suivre la loi, qui nous est imposée, ou d’agir en opposition à cette loi ; c’est enfin la faculté de rester fidèle à la lumière qui nous est sans cesse présentée. Cette liberté principe se manifeste à l’homme, même lorsqu’il s’est rendu esclave des influences étrangères à sa loi. Alors on le voit encore, avant de se déterminer, comparer entre elles les diverses impulsions qui le dominent, opposer ses habitudes et ses passions les unes aux autres et choisir enfin celle qui a le plus d’attrait pour lui.

Considérée comme effet, la liberté se dirige uniquement d’après la loi donnée à notre nature intellectuelle ; alors, elle suppose l’indépendance, l’exemption entière de toute action, force ou influence contraire à cette loi, exemption que peu d’homme ont connue. Sous ce point de vue, où l’homme n’admet aucun autre motif de sa loi, toutes ses déterminations, tous ses actes sont l’effet de cette loi qui le guide, et c’est alors seulement qu’il est vraiment libre, n’étant jamais détourné par aucune impulsion étrangère de ce qui convient à son être.

Dieu

Quant à l’être principe, à cette force pensante universelle, supérieure à l’homme, de laquelle nous ne pouvons pas surmonter ni éviter l’action, et dont l’existence est démontrée par l’état passif où nous sommes envers elle relativement à nos pensées, ce dernier Principe a aussi une liberté qui diffère essentiellement de celles des autres êtres ; car étant lui-même sa propre loi, il ne peut jamais s’en écarter et sa liberté n’est exposée à aucune entrave ou impulsion étrangère. Ainsi, il n’a pas cette faculté funeste par laquelle l’homme peut agir contre le but même de son existence. Ce qui démontre la supériorité infinie de ce Principe universel et Créateur de toute loi.

Ce Principe suprême, source de toutes les puissances, soit de celles qui vivifient la pensée dans l’homme, soit de celles qui engendrent les oeuvres invisibles de la nature matérielle, cet être nécessaire à tous les autres êtres, germe de toutes les existences : ce terme final vers lequel elles tendent, comme par un effort irrésistible, parce que toutes recherchent la vie ; cet être, dis-je est celui que les hommes appellent généralement DIEU.

La Nature

L’Univers ne peut influer sur les facultés actives et créatrices auxquelles il doit l’existence, et il n’a pas de rapport plus direct et plus nécessaire avec Dieu, à qui appartient ces facultés, que nos oeuvres matérielles n’en ont avec nous. L’Univers est, pour ainsi dire, un être à part ; il est étranger à la divinité, quoiqu’il ne lui soit ni inconnu, ni même indifférent... Il ne tient point à l’essence divine, quoique Dieu s’occupe du soin de l’entretenir et de le gouverner. Ainsi il ne participe point à la perfection, que nous savons appartenir à la Divinité ; il ne forme point unité avec elle ; par conséquent il n’est pas compris dans la simplicité des lois essentielles et particulières à la Nature Divine.

Aussi aperçoit-on partout dans l’Univers des caractères de désordre et de difformité ; ce n’est qu’un assemblage violent de sympathies et d’antipathies, de similitudes et de différences, qui forcent les êtres à vivre dans une continuelle agitation, pour se rapprocher de ce qui leur convient, et pour fuir ce qui leur est contraire : ils tendent sans cesse à un état plus tranquille, ils tendent à l’unité d’où tout est sorti.

L’imperfection attachée aux choses temporelles, prouve qu’elles ne sont ni égales ni coéternelles à Dieu, et démontre en même temps qu’elles ne peuvent être permanentes comme lui : car leur nature imparfaite ne tenant point de l’essence de Dieu, à laquelle seule appartient la perfection et la Vie, doit pouvoir perdre la vie ou le mouvement qu’elle a pu recevoir : parce que le véritable droit que Dieu ait de ne pas cesser d’être, c’est de n’avoir pas commencé.

Dans l’ordre intellectuel, c’est le supérieur qui nourrit l’inférieur ; c’est le principe de toute existence qui entretient dans tous les êtres la vie qu’il leur a été donné ; c’est la source première de la vérité, que l’homme intellectuel reçoit journellement ses pensées et la lumière qui l’éclaire. Or ce principe supérieur n’attendant sa vie, ni son soutien d’aucune de ses productions, recevant tout de lui-même, est à jamais à l’abri de la privation, de la disette et de la mort.

Au contraire, dans toutes les classes de l’ordre physique, c’est l’inférieur qui nourrit et alimente le supérieur. C’est là l’image la plus frappante de son impuissance et la preuve la plus certaine de la nécessité de sa destruction ; car ne pouvant conserver sa vertu génératrice et son existence, que par le secours de ses propres productions, on ne saurait la croire impérissable, sans lui reconnaître, comme dans Dieu, la faculté essentielle et sans limites d’engendrer ; et alors on ne verrait en elle ni stérilité, ni sécheresse.

Dans le principe suprême, qui a ordonné la production de cet Univers, et qui en maintient l’existence, tout est essentiellement ordre, paix, harmonie ; ainsi on ne doit pas lui attribuer la confusion qui règne dans toutes les parties de notre ténébreuse demeure ; et ce désordre ne peut être que l’effet d’une cause inférieure et corrompue qui ne peut agir que séparément et hors du Principe du bien : car il est encore plus certain qu’elle est nulle et impuissante, relativement à la Cause première. Il est impossible que ces deux Causes existent hors de la classe des choses temporelles. Dès que la Cause inférieure a cessé d’être conforme à la loi de la Cause supérieure, elle a perdu toute union et toute communication avec elle ; parce qu’alors la cause supérieure, Principe éternel de l’ordre et de l’harmonie, a laissé la cause inférieure, opposée à son unité, tomber d’elle-même dans l’obscurité de sa corruption, comme elle nous laisse tous les jours perdre volontairement de l’étendue de nos facultés, et les resserrer, par nos propres actes, dans les bornes des affections les plus viles, au point de nous éloigner absolument des objets qui conviennent à notre nature.

La matière, le mal

Ainsi, loin que la naissance du mal et la création de l’enceinte, dans laquelle il a été renfermé, aient produit, dans l’ordre vrai, un plus grand ensemble de choses et ajouté à l’Immensité, elles n’ont fait que particulariser ce qui par essence devait être général ; que diviser des actions qui devaient être unies ; que contenir dans un point ce qui avait été séparé de l’universalité, et devait sans circuler sans cesse dans toute l’économie des êtres ; que sensibiliser enfin sous des formes matérielles ce qui existait déjà en principe immatériel : car, si nous pouvions anatomiser l’Univers et écarter ses enveloppes grossières, nous en trouverions les germes et les fibres principes disposés dans le même ordre où nous voyons que sont leurs fruits et leurs productions ; et cet Univers invisible serait aussi distinct à notre intelligence que l’Univers matériel l’est aux yeux de notre corps. C’est là où les Observateurs se sont égarés, en confondant l’Univers invisible et l’Univers visible, et en annonçant le dernier, comme étant fixe et vrai, ce qui n’appartient qu’à l’Univers invisible et principe.

C’est ainsi que la cause inférieure eut pour limites le rempart sensible et insurmontable de l’action invisible vivifiante et pure du grand Principe, devant laquelle toute corruption voit anéantir ses efforts. Cette cause inférieure, exerçant son action dans l’espace ténébreux où elle est réduite, tout ce qui y est contenu avec elle sans exception, doit être exposé à ses attaques : et quoi qu’elle ne puisse rien sur l’essence de l’Univers, elle peut en combattre les Agents, mettre obstacle au résultat de leurs actes, et insinuer son action déréglée dans les moindres dérangements des êtres particuliers, pour en augmenter encore le désordre.

Comment la Cause inférieure peut être opposée à la Cause supérieure ? ou comment le principe intelligible peut-il produire quelque chose qui va s’opposer à lui ?

Pour comprendre cela, nous allons chercher comment il se peut que le mal existe en présence des phénomènes matériels. L’ être créateur produit sans cesse des êtres hors de lui, comme les principes des corps produisent sans cesse hors d’eux leurs actions. Il ne se produit point des assemblages puisqu’il est Un, simple dans son essence. Par conséquent, si, parmi les productions de ce premier Principe, il en est qui puissent se corrompre, elles ne peuvent au moins se dissoudre ni s’anéantir, comme les productions corporelles et composées.

Les êtres matériels

La corruption, le dérangement, le mal enfin des productions matérielles, est de cesser d’être sous l’apparence de la forme qui leur est propre. La corruption des productions immatérielles est de cesser d’être dans la loi qui les constitue. Cependant la destruction des productions matérielles, lorsqu’elle arrive dans son temps et naturellement n’est point un mal ; elle n’est désordre que dans le cas où elle est prématurée : et même le mal est moins alors dans les êtres livrés à la destruction, que dans l’action déréglée qui l’occasionne.

Les êtres immatériels

Les êtres immatériels, au contraire, n’étant pas des assemblages, ne peuvent jamais être pénétrés par aucune action étrangère ; ils ne peuvent en être décomposés, ni anéantis. Ainsi, la corruption de ces êtres ne saurait provenir de la même source que celle des productions matérielles : puisque la loi contraire, qui agit sur elles, ne peut agir sur des êtres simples.

La corruption

A qui cette corruption doit-elle donc être attribuée ? Car les productions soit matérielles, soit immatérielles, puisant la vie dans une source pure, chacune selon sa classe, ce serait injurier le principe, que d’admettre la moindre souillure dans leur essence. De la différence extrême qui existe entre les productions immatérielles et les productions matérielles, il résulte que celles-ci étant passives, puisqu’elles sont composées, ne sont point les agents de leur corruption ; elles n’en peuvent donc être que le sujet, puisque le désordre leur vient nécessairement du dehors.

Au contraire, les productions immatérielles, en qualité d’êtres simples, et dans leur état primitif et pur, ne peuvent recevoir ni dérangement, ni mutilation, par aucune force étrangère ; puisque rien d’elles n’est exposé et qu’elles renferment toute leur existence et tout leur être en elle-même, comme formant chacune leur unité : d’où il en résulte que s’il en est qui ont pu se corrompre, non seulement elles ont été le sujet de leur corruption, mais encore elles ne ont dû être l’organe et les agents : car il était de toute impossibilité que la corruption leur vînt d’ailleurs ; puisqu’aucun être ne pouvait avoir prises sur elles ; ni déranger leur loi.

Un être qui approche et qui jouit de la vue des vertus du souverain Principe, peut-il trouver un motif prépondérant opposé aux délices de ce sublime spectacle ? S’il détourne les yeux de ce grand objet, ou si les portant sur ces productions pures de l’Infini, il cherche, en les contemplant, un motif faux et contraire à leurs lois, peut-il le trouver hors de soi-même, puisque ce motif est le mal, et que ce mal n’existait nulle part pour lui avant que cette pensée criminelle l’eût fait naître, comme nulle production n’existe avant son Principe générateur.

Le Principe divin ne contribue point au mal et au désordre qui peuvent naître parmi ses productions puisqu’il est la pureté même : étant simple et étant le loi de sa propre essence et de toutes ses oeuvres, il est impassible à toute action étrangère. Le désordre et la corruption ne s’étendent pas sur les Principes premiers.

Quoique les êtres libres distincts du grand Principe, puissent écarter les influences intellectuelles qui descendent continuellement sur eux ; quoique ces influences intellectuelles reçoivent peut-être dans leur cours quelque contraction qui en détourne les effets, celui qui leur envoie ces présents salutaires ne ferme jamais sa main bienfaisante. Il a toujours la même activité. Il est toujours également fort, également puissant, également pur, également impassible aux égarements de ses productions libres, qui peuvent se plonger elle-même dans le crime, et enfanter le mal par les seuls droits de leur volonté. Il serait donc absurde d’admettre aucune participation de l’être divin aux désordre des êtres libres, et à ceux qui en résultent dans l’Univers ; en un mot, Dieu et le mal ne peuvent jamais avoir le moindre rapport.

Ce serait avec aussi peu de fondements qu’on attribuerait le mal aux êtres matériels, puisqu’ils ne peuvent rien par eux-mêmes, et que toutes leur action vient de leur principe individuel, lequel est toujours dirigé ou réactionné par une force séparée de lui. Or, s’il n’y a que trois classes d’êtres : Dieu, les êtres intellectuels et la Nature physique : si l’on ne peut trouver l’origine du mal dans la première, qui est exclusivement la source de tout bien ; ni dans la dernière , qui n’est ni libre, ni pensante ; et que cependant l’existence du mal soit incontestable ; on est nécessairement forcé de l’attribuer à l’homme, ou à tout autre être, tenant comme lui un rang intermédiaire.

Le mal provient des Etres intermédiaires

L’homme agit tantôt bien, tantôt mal ; c’est-à-dire que tantôt il suit les lois fondamentales de son être, tantôt il s’en écarte. Quand il fait bien, il marche dans la lumière et le secours de l’intelligence ; et quand il fait mal, on ne peut l’attribuer qu’à lui seul, et non à l’intelligence, qui est la seule voie, le seul guide du bien, et par laquelle seule l’homme et tous les êtres peuvent bien faire.

Nous ne pouvons connaître la nature essentielle du mal car pour le comprendre, il faudrait qu’il fût vrai, et alors il cesserait d’être mal, puisque le vrai et le bien sont la même chose. Comprendre, c’est apercevoir le rapport d’un objet avec l’ordre et l’harmonie dont nous avons la règle en nous même. Si le mal n’a aucun rapport avec cet ordre et qu’il en soit précisément l’opposé comment pourrions-nous apercevoir entre eux quelque analogie ; comment par conséquent pourrions nous le comprendre ?

Le mal a cependant son poids, son nombre et sa mesure, comme le bien : et l’on peut même savoir en quel rapport sont ici-bas le poids, le nombre et la mesure du mal, et cela en quantité, en intensité, et en durée. Car le rapport du mal au bien en quantité est de neuf à un , en intensité de zéro à un , et en durée de sept à un.

Le but de l’homme : le retour à l’Unité

Lorsqu’un homme produit une oeuvre quelconque, il ne fait que peindre et rendre visible le plan, la pensée ou le dessein qu’il a formé. Il s’attache à donner à cette copie autant de conformité qu’il lui est possible avec l’original, afin que sa pensée soit mieux entendue.

Si les hommes dont l’homme veut se faire entendre, pouvaient lire dans sa pensée, il n’aurait aucun besoin des signes sensibles pour en être compris : tout ce qu’il concevrait serait saisi par eux, aussi promptement et avec autant d’étendue que par lui-même.

Il n’emploie donc tous ces moyens physiques, il ne produit toutes ces oeuvres matérielles que pour annoncer sa pensée à ses semblables, à des êtres distincts de lui, de les assimiler à une image de lui-même, et en s’efforçant de les envelopper dans son unité, dont ils sont séparés.

Tous les hommes n’ont et n’auront jamais pour but que de faire acquérir à leurs pensées, le privilège de l’universalité, de l’unité. C’est cette même loi universelle de réunion qui produit l’activité générale, et cette voracité que nous avons remarqué dans la Nature physique : car on voit une attraction réciproque entre tous les corps, par laquelle, en se rapprochant, ils se substantent et se nourrissent les uns les autres ; c’est par le besoin de cette communication, que tous les individus s’efforcent de lier à eux, les êtres qui les environnent de les confondre en eux et de les absorber dans leur propre unité, afin que les subdivisions venant à disparaître, ce qui est séparé se réunisse ; ce qui est à la circonférence revienne à la lumière, et que par-là l’harmonie et l’ordre surmontent à la confusion qui tient tous les êtres en travail.

Lorsque Dieu a eu recours à des signes visibles, tels que l’Univers, pour communiquer sa pensée, il n’a pu les employer qu’en faveur d’êtres séparés de lui. Car si tous les êtres fussent restés dans son unité, ils n’auraient pas eu besoin de ces moyens pour y lire. Dès lors nous reconnaîtrons que ces êtres corrompus séparés volontairement de la cause première, et soumis aux lois de sa justice dans l’enceinte visible de l’Univers, sont toujours l’objet de son amour, puisqu’il agit sans cesse pour faire disparaître cette séparation si contraire à leur bonheur.

La loi de tendance à l’unité

La loi de tendance à l’unité s’appliquant à toutes les classes et à tous les êtres, il résulte que le moindre des individus a le même but dans son espèce : c’est-à-dire, que les principes universels, généraux et particuliers se manifestent chacun dans les productions qui leur sont propres, afin de rendre par là leurs vertus visibles aux êtres distinct d’eux, qui étant destinés à recevoir la communication et les secours de ces vertus, ne le pourraient sans ce moyen.

Ainsi, toutes les productions, tous les individus de la Création générale et particulière, ne sont, chacun dans leur espèce, que l’expression visible, le tableau représentatif des propriétés du principe soit général, soit particulier qui agit en eux. Ils doivent tous porter en eux les marques évidentes de ce principe qui les constitue. Ils doivent en annoncer clairement le genre et les vertus, par les actions et les faits qu’ils opèrent. En un mot, ils doivent en être le signe caractéristique, et, pour ainsi dire, l’image sensible et vivante.

L’erreur des théories évolutionnistes

Les théories évolutionnistes qui supposent la nature des choses perfectible qui peut successivement porter les classes et les espèces les plus inférieurs aux premiers rangs d’élévation dans la chaîne des êtres. Cette conjecture est dictée par l’erreur car tout est réglé, tout est déterminé dans les espèces, et même les individus. Il y a pour tout ce qui existe une loi fixe, un nombre immuable, un caractère indélébile, comme celui de l’être principe en qui président les lois, tous les nombres, tous les caractères. Chaque classe, chaque famille a sa barrière que nulle force ne pourra jamais franchir.

Si l’existence de toutes les productions de la Nature n’avait pas un caractère fixe, comment pourrait-on en reconnaître l’objet et les propriétés ? Comment s’accompliraient les desseins du grand Principe qui, en déployant cette Nature aux yeux des êtres séparés de lui, a voulu leur présenter des indices stables et réguliers, par lesquels ils pussent rétablir avec lui leur correspondance et leurs rapports ? Si ces indices matériels étaient variables ; si leur loi, leur marche, leur forme même n’étaient pas déterminées, l’oeuvre de ce Peintre ne serait qu’un tableau successif d’objets confus, sur lesquels l’intelligence ne trouverait point à se reposer, et qui ne pourrait jamais montrer le but du grand être. Enfin ce grand être lui-même n’annoncerait que l’impuissance et la faiblesse, en ce qu’il se serait proposé un plan qu’il n’aurait pas su remplir.

Chaque production de la Nature a son caractère déterminé ; c’est par là seulement qu’elle peut être l’expression évidente de son principe ; à sa seule vue, un oeil exercé doit pouvoir décider de quel agent telle production manifeste les facultés. L’homme ne peut donc exister aussi que par cette loi générale.

En quoi l’homme diffère-t-il des autres productions de la Nature ?

Pour connaître l’homme, il faut chercher en lui les signes d’un Principe d’un autre ordre que le principe qui anime la matière. Si l’on observe attentivement les oeuvres de l’homme on apercevra que non seulement elles sont les expressions de ses pensées ; mais encore, qu’il cherche, autant qu’il le peut, à se peindre lui-même dans ses ouvrages. Il ne cesse de multiplier sa propre image par la Peinture et la Sculpture, et dans mille productions des Arts les plus frivoles ; enfin, il donne aux édifices qu’il élève, des proportions relatives à celles de son corps. Vérité profonde, qui pourra découvrir un espace immense à des yeux intelligents ; car ce penchant si actif à multiplier ainsi son image, et à ne trouver le beau que dans ce qui s’y rapporte, doit à jamais distinguer l’homme de tous les êtres particuliers de cet Univers.

Contrairement aux animaux qui ont des comportements identiques dans chacune des espèces, l’homme n’offre que des différences et des oppositions. Chaque homme est semblable à un souverain dans son Empire. Non seulement l’homme diffère de ses semblables, mais à tout instant encore il diffère de lui-même. Il veut et ne veut pas ; il hait et il aime ; il prend et il rejette presque en même temps le même objet ; presque en même temps il en est séduit et dégoûté. Bien plus, il fuit quelquefois ce qui lui plaît ; s’approche de ce qui le répugne ; va au devant des maux, des douleurs et même de la mort. Ainsi l’on peut dire que dans ses ténèbres, comme dans sa lumière, l’homme manifeste un principe tout à fait différent de celui qui opère et qui entretient le jeu de ses organes.

C’est une méprise impardonnable de conclure de différents exemples particuliers, à une loi générale pour l’espèce humaine. L’homme a en lui les germes de toutes les vertus ; elles sont toutes dans sa nature, quoiqu’il ne les manifeste que partiellement, de là vient que souvent lorsqu’il semble méconnaître les vertus naturelles, il ne fait que les substituer les unes aux autres.

S’il est vrai que l’homme n’ait pas une seule idée à lui ; et que cependant l’idée d’un tel pouvoir et d’une telle lumière soit, pour ainsi dire, universelle, tout peut être dégradé dans la science et la marche ténébreuse des hommes, mais tout n’y est pas faux. Cette idée annonce donc qu’il y a dans eux quelque analogie, quelques rapports avec l’action suprême, et quelques vestiges de ses propres droits ; comme nous avons déjà trouvé dans l’intelligence humaine, des rapports évidents avec l’intelligence infinie et avec ses vertus .

Si chacun des êtres de la Nature est l’expression d’une des vertus temporelles de la sagesse, l’homme est le signe ou l’expression visible de la Divinité même ; autrement la ressemblance n’étant pas parfaite, le modèle pourrait être méconnu.

Les éléments intermédiaires : les nombres

Avant que les choses temporelles puissent avoir eu l’existence qui nous les rend sensibles, il a fallu des éléments primitifs et intermédiaires entre elles et les facultés créatrices dont elles descendent, sont d’une nature trop différente pour pouvoir exister ensemble sans intermède ; ce qui nous est physiquement répété par le soufre et l’or, par le mercure et la terre, lesquels ne peuvent s’unir que par la même loi d’une substance intermédiaire.

Tout ce qui existe dans la nature corporelle, toutes les formes, les moindres traits, ne sont et ne peuvent être que des réunions, des combinaisons, ou des divisions des signes primitifs qui sont les nombres. Rien ne peut paraître parmi les choses sensibles qui ne soient écrit par eux, qui ne descendent d’eux et qui ne leur appartienne, comme toutes les figures possibles de la Géométrie seront toujours composées de points, de lignes, de cercles ou de triangles.

L’homme lui-même, dans ses oeuvres matérielles, qui ne sont que des oeuvres secondes par rapports aux oeuvres de la Nature, est lié, comme tous les autres êtres à ces signes primitifs ; il ne peut rien élever, rien tracer, rien construire ; il ne peut imaginer aucune forme, exécuter un seul mouvement volontaire ou involontaire, qui ne tiennent à ces modèles exclusifs, dont tout ce qui se meut, tout ce qui vit dans la Nature, n’est que le fruit de la représentation. S’il en pouvait être autrement, l’homme serait créateur d’une autre Nature et d’un autre ordre de choses, qui n’appartiendraient point au Principe producteur et modèle de tout ce qui existe sensiblement pour nous.

Il n’est donc rien dans l’homme corporel, ni dans ses productions, qui ne soit, quoique très secondairement, l’expression de l’action créatrice universelle, que tout être corporel représente, dès qu’il existe et qu’il agit.

La parole et l’écriture

Les sons et les caractères alphabétiques, qui servent d’instruments fondamentaux à tous les mots que nous employons pour manifester nos idées, doivent tenir à des signes et à des sons primitifs qui leur servent de base ; et cette vérité profonde nous est tracée de toute antiquité dans le fragment de Sanchoniaton, où il représente Thot tirant le portrait des Dieux pour en faire les caractères sacrés des lettres ; 10, emblème sublime et d’une fécondité immense, parce qu’il est pris dans la source même où l’homme devrait toujours puiser.

Puisque la loi qui sert d’organe à la suprême Sagesse établit partout un ordre et une régularité, elle doit avoir déterminé, pour l’expression des pensées qu’elle nous envoie, des signes invariables, comme elle en a établi pour la production de ses faits matériels.

Les sons et les caractères primitifs étant les vrais signes sensibles de nos pensées, ils doivent être les signes sensibles de l’unité pensante car il n’y a qu’un seul principe de toutes choses.

Ainsi les productions les plus défigurées, que nous puissions manifester par la parole et par l’écriture, portent toujours secondairement l’empreinte de ces signes primitifs ; et par conséquent celle de cette unique idée, ou de l’unité pensante : ainsi l’homme ne peut proférer une seule parole, tracer un seul caractère, qu’il ne manifeste la faculté pensante de l’Agent suprême ; comme il ne peut produire un seul acte corporel, un seul mouvement, sans en manifester les facultés créatrices.

L’homme est destiné à être le signe et l’expression parlante des facultés universelles du Principe suprême, dont il est émané ; comme tous les êtres particuliers sont, chacun dans leur classe, le signe visible du principe particulier qui leur a communiqué la vie.

L’émanation

L’émanation divine doit être comprise en tant que le Principe créateur n’a éprouvé ni séparation, ni division, ni aucune altération dans leur essence. Pour bien comprendre ce terme, procédons par analogie. Quand je produis extérieurement quelque acte intellectuel, lorsque je communique à l’un de mes semblables la plus profonde de mes pensées, ce mobile que je porte dans son être, qui va le faire agir peut lui donner une vertu : ce mobile, quoique sorti de moi, quoi qu’étant, pour ainsi dire, un extrait de moi-même et de ma propre image, ne me prive point de la faculté d’en produire de pareils. J’ai toujours en moi le même germe de pensées, la même volonté, la même action ; et cependant j’ai en quelque façon donné une nouvelle vie à cet homme, en lui communiquant une idée, une puissance qui n’était rien pour lui, avant que j’eusse fait en sa faveur, l’espèce d’émanation dont je suis susceptible. Nous souvenant toutefois qu’il n’y a qu’un seul Auteur et créateur de toutes choses, on verra pourquoi je ne communique que des lueurs passagères ; au lieu que cet Auteur universel communique l’existence même, et la vie impérissable.

Mais, si dans l’opération qui m’est commune avec tous les hommes, on sait évidemment que l’émanation de mes pensées, volontés et actions, n’altèrent en rien mon essence ; à plus forte raison la vie divine peut se communiquer par des émanations : elle peut produire sans nombre et sans fin, les signes et les expressions d’elle-même, et ne jamais cesser d’être le foyer de la vie.

La réminiscence

Si nous sommes émanés d’une source universelle de vérité, aucune vérité ne doit nous paraître nouvelle et réciproquement, si aucune vérité ne nous paraît nouvelle, mais que nous n’y apercevions que le souvenir ou la représentation de ce qui était caché en nous, nous devons avoir pris naissance dans la source universelle de la vérité.

L’homme intellectuel, par sa primitive existence, a dû selon la loi universelle des êtres tenir à son arbre générateur. Il était, pour ainsi dire, le témoin de tout ce qui se existait dans son atmosphère : et comme cette atmosphère est autant au-dessus de celle que nous habitons, que l’Intellectuel est au-dessus du matériel même, les faits auxquels l’homme participait, étaient incomparablement supérieurs aux faits de l’ordre élémentaire : et la différence des uns et des autres, est celle qu’il y a entre la réalité des êtres qui ont une existence vraie et indélébile, et l’apparence de ceux qui n’ont qu’une vie indépendante et secondaire. Ainsi, l’homme étant lié à la vérité, participait, quoique passivement, à tous les faits de la vérité. Après avoir été détaché de l’arbre universel , qui est son arbre générateur, l’homme se trouvant précipité dans une région inférieure pour y éprouver une végétation intellectuelle, s’il parvient à y acquérir des lumières et à manifester les vertus et les facultés analogues à sa vraie nature, il ne fait que réaliser et représenter par lui-même ce que son Principe avait déjà montré à ses yeux : il ne fait que recouvrer la vue d’une partie des objets qui avaient déjà été en sa présence ; que se réunir à des êtres avec lesquels il avait déjà habité ; enfin, que découvrir de nouveau, d’une manière plus intuitive, plus active, des choses qui avaient déjà existé pour lui, dans lui, et autour de lui.

Voilà pourquoi l’on peut dire d’avance que tous les êtres créés et émanés dans la région temporelle, et l’homme par conséquent, travaillent à la même oeuvre, qui est de recouvrer leur ressemblance avec le Principe, c’est-à-dire, de croître sans cesse jusqu’à ce qu’ils viennent au point de produire leurs fruits, comme il a produit les siens en eux.

L’homme est né pour prouver à tous les êtres qu’il y a un Dieu nécessaire, lumineux, bon, juste, saint, puissant, éternel, fort, toujours prêt à revivifier ceux qui l’aiment, toujours terrible pour ceux qui veulent le combattre ou le méconnaître. Heureux l’homme, s’il n’eût jamais annoncé Dieu qu’en manifestant ses puissances et non pas en les usurpant ! L’homme ne peut surpasser son Créateur puisque toute les productions sont inférieures à leur Principe générateur, puisque nous ne sommes que l’expression des Facultés divines et du Nombre divin, et non pas la nature même de ces facultés et de ce nombre qui est le caractère propre et distinctif de la Divinité.

A quelque point que nous montions, il sera éternellement et infiniment au dessus de nous, comme au dessus de tous les êtres. C’est même l’honorer que d’ennoblir ainsi notre propre essence ; parce que nous ne pouvons nous élever d’un degré que nous ne l’élevions en même temps dans un rapport quadruple ; puisque toute action, comme tout mouvement, toute progression est quaternaire, et que nous ne pouvons nous mouvoir que selon l’immuabilité de ses lois.

Enfin, si nous descendons de la Divinité, si elle est le principe immédiat de notre existence, plus nous nous en rapprochons, et plus nous l’agrandissons aux yeux de tous les êtres ; puisqu’alors nous faisons sortir d’autant plus d’éclat de ses Puissances et de sa supériorité.

Dieu doit être notre terme de comparaison si nous voulons nous préserver de toutes les illusions et des amorces de l’orgueil par lesquelles l’homme est si souvent réduit.

Le crime de l’homme

Puisque l’être divin est le seul Principe de la lumière et de la vérité : puisqu’il possède seul les facultés fixes et positives, dans lesquelles réside exclusivement la vie réelle et par essence : dès que l’homme a cherché ces facultés dans un autre être, il a dû de toute nécessité les perdre de vue, et ne rencontrer que le simulacre de toutes ces vertus.

Ainsi, l’homme ayant cessé de lire dans la vérité n’a pu trouver autour de lui que l’incertitude et l’erreur. Ayant abandonné le seul séjour de ce qui est fixe et réel, il a dû entrer dans une région nouvelle, qui, par ses illusions et son néant, fût toute opposée à celle qu’il venait de quitter. Il a fallu que cette région nouvelle par la multiplicité de ses lois et de ses actions, lui montrât en apparence une autre unité que celle de l’être simple, et d’autres vérités que la sienne. Enfin, il a fallu que le nouvel appui sur lequel il s’était reposé, lui présentât un tableau fictif de toutes les facultés, de toutes les propriétés de cet être simple, et cependant qu’il n’en eût aucune.

Des nombres 4 et 9

L’homme s’est égaré en allant de quatre à neuf ; c’est-à-dire, qu’il a quitté le centre des vérités fixes et positives, qui se trouvent dans le nombre quatre comme étant la source et la correspondance de tout ce qui existe ; comme étant encore, même dans notre dégradation, le nombre universel de nos mesures, et de la marche des Astres.

L’homme s’est uni au nombre neuf des choses passagères et sensibles, dont le néant et le vide sont écrits sur la forme même circulaire ou neuvaire, qui leur est assignée, et qui tient l’homme comme dans le prestige.

Les êtres sensibles

Dans la région temporelle, l’homme est condamné à saisir par les sens seulement les êtres composés puisqu’il n’y a relation que entre des êtres de même nature.

L’homme est donc réduit, en demeurant dans cette région temporelle, à n’apercevoir que des unités apparentes : c’est-à-dire qu’il ne peut connaître aujourd’hui que des poids, des mesures et des nombres relatifs, au lieu des poids, des mesures et des nombres fixes qu’il employait dans son milieu natal.

Toutefois, les choses sensibles, qui ne sont qu’apparentes et nulles pour l’esprit de l’homme, ont une réalité analogue à son être sensible et matériel. La sagesse est si féconde, qu’elle établit des proportions dans les vertus et dans les réalités, relativement à chaque classe de ses productions.

La mort

Les choses corporelles et sensibles n’étant rien pour l’ être intellectuel de l’homme, on voit comment doit s’apprécier ce que l’on appelle la mort, et quelle impression elle peut produire sur l’homme sensé, qui n’est point identifié avec les illusions de ces substances corruptibles. Car le corps de l’homme, quoique vrai pour les autres corps, n’a comme eux aucune réalité pour l’intelligence, et à peine doit-elle s’apercevoir qu’elle s’en sépare : en effet lorsqu’elle le quitte, elle ne quitte qu’une apparence, ou pour mieux dire, elle ne quitte rien.

Au contraire, tout nous annonce qu’elle doit gagner plutôt que perdre ; car, avec un peu d’attention, nous ne pouvons que nous pénétrer de respect pour ceux que leur loi délivre de ces entraves corporelles, puisqu’alors il y a une illusion de moins entre eux et le vrai.

Le premier crime de l’homme

Le crime de l’homme fut d’avoir abusé de la connaissance qu’il avait de l’union du principe de l’Univers avec l’Univers. La privation de cette connaissance est la peine de ce crime : nous subissons tous cette irrévocable punition, par l’ignorance où nous sommes sur les liens qui attachent notre être intellectuel à la matière.

La preuve manifeste que cette connaissance ne peut nous être parfaitement rendue pendant notre séjour sur la Terre, c’est que n’étant dans ce bas Monde que pour subir la privation de la lumière que nous avons laissée échapper, si nous pouvions y recouvrer pleinement cette lumière, nous serions plus en privation et par conséquent nous ne serions plus dans ce bas Monde.

La lumière

Les lois de la lumière élémentaire sont semblables aux lois de la lumière intellectuelle. Outre la nécessité d’un Principe primordial et générateur, il faut à l’une et à l’autre base, une réaction et une classe d’ êtres susceptibles d’en être les témoins et de participer à ses effets : ce qui annonce que la lumière sensible et la lumière intellectuelle n’agissent, ne procède et ne manifeste que par un quaternaire.

Il y a des êtres intelligents qui sont totalement séparés de la lumière intellectuelle, il y en a qui n’en sont point séparés, mais qui ne participent qu’à ses effets extérieurement ; il y en a qui en reçoivent intérieurement les rayons, mais qui sont dans une ignorance absolue des voies par lesquelles elles se propagent ; il y n’a donc que ceux qui sont admis dans son conseil, ou à la science même de celui d’où tout descend, qui puissent recouvrer cette connaissance primitive, parce que ce n’est que là où ils peuvent recevoir la lumière, la voir, en jouir et la comprendre enfin c’est là où se déploie avec une efficacité supérieure tous les pouvoirs du grand quaternaire parce que dans cette classe suprême résident tous les types des quatre points cardinaux du monde élémentaire.

L’homme n’a point su conserver cette sublime jouissance qui fut jadis son apanage, il a voulu transposer l’ordre de ces quatre points fondamentaux de toute lumière et de toute vérité ; or les transposer, c’est les confondre, et les confondre, c’est les perdre et s’en priver.

Le temps

L’homme, en s’unissant par une suite de la corruption de sa volonté aux choses mixtes de la région apparente et relative, s’est assujetti à l’action des différents principes qui la constituent, et celle des différents agents préposés pour les soutenir, et pour présider à la défense de leur loi : et ces choses mixtes ne produisant par leur assemblage que des phénomènes temporels, lents et successifs, il en résulte que le temps est le primordial instrument des souffrances de l’homme, et le puissant obstacle qui le tient éloigné de son Principe : le temps est le venin qui le ronge, tandis que c’était lui qui devait purifier et dissoudre le temps : le temps enfin, ou la région qui sert de prison à l’homme, est semblable à l’eau dont le pouvoir est de tout dissoudre, d’altérer plus ou moins vite la forme de tous les corps, et dans laquelle on ne peut plonger l’or sans qu’il n’y soit privé du dix-neuvième de son poids ; phénomène qui selon des calculs intègres représente au naturel notre véritable dégradation.

En effet, le temps n’est que l’intervalle de deux actions : ce n’est qu’une contraction, qu’une suspension dans l’action des facultés d’un être. Aussi, chaque année, chaque moi, chaque semaine, chaque jour, chaque heure, chaque moment, le principe supérieur ôte et rend les puissances aux êtres, et c’est cette alternative qui forme le temps.

L’étendue éprouve également cette alternative, elle est soumise aux même progression que le temps : ce qui fait que le temps et l’espace sont proportionnels.

L’action de l’homme étant étrangère à cette région terrestre, cette action est perpétuellement suspendue et divisée en lui. On ne peut douter que la véritable action de l’homme n’était pas faite pour être assujettie à la région sensible ; puisque la lumière fait des progrès pour se communiquer à lui, à mesure que l’action sensible l’abandonne et qu’il s’en dépouille ; et puisque loin qu’il doive attendre tout de ses sens, il n’a rien que quand ils sont calmes et dans une espèce de néant pour son intelligence. En apercevant tant de beautés dans les productions des êtres physiques, dont la loi n’a point été dérangée, nous pouvons donc nous former une idée des merveilles que l’homme ferait éclore en lui, s’il suivait la loi de sa vraie nature, et qu’à l’image de la main qu’il a formé, il tâcha, dans toutes les circonstances de sa vie, d’être plus grand que ce qu’il fait.

Son être intellectuel arriverait au dernier terme de sa carrière temporelle, avec la même pureté qu’il avait en commençant le cours. On le verrait dans la vieillesse unir les fruits de l’expérience avec l’innocence de son premier âge. Tous les pas de sa vie auraient fait découvrir, en lui la lumière, la science, la simplicité, la candeur, parce que toutes ces choses sont dans son essence. Enfin, le germe qui l’anime se serait étendu, sans s’altérer ; et il rentrerait avec le calme de la vertu, dans la main qui le forma, parce qu’en lui représentant sans aucune altération, le même caractère et le même sceau qu’il en avait reçu, elle y reconnaîtrait encore son empreinte et y verrait toujours son image.

Le nombre des temps que l’homme doit subir pour accomplir son oeuvre, est proportionné au nombre des degrés, au-dessous desquels il est descendu ; car, plus le point d’une force tombe est élevé, plus il lui faut du temps et d’efforts pour y remonter. L’homme doit se former, pendant son séjour sur terre, un ensemble de lumières et de connaissances qui embrasse une sorte d’unité.

Mais le complément des véritables jouissances ne peut être obtenue car elles n’appartiennent pas à l’ordre terrestre : l’homme ne peut saisir que l’esquisse et la représentation de ces lumières.

« Que l’homme intelligent médite ici sur les lois de l’ Astre lunaire, qui nous représentent, sous mille faces, notre privation ; qu’il examine pourquoi cet Astre ne nous est visible que pendant ses jours de matière ; et pourquoi nous le perdons de vue le vingt-huitième jour de son cours, quoiqu’il se lève également sur notre horizon. »

Tout se réunit pour prouver à l’homme qu’après avoir parcouru laborieusement cette surface, il faut qu’il atteigne à des degrés plus fixes et plus positifs, qui aient plus d’analogie avec les vérités simples et fondamentales dont le germe est dans sa nature. Enfin, il faut à la mort, qu’il réalise la connaissance des objets, dont il n’a pu apercevoir ici que l’apparence.

Les langues supérieures

« Je peux convenir que ces connaissances supérieures consistent dans l’intelligence et l’usage de deux langues communes et vulgaires, puisqu’elles tiennent aux jouissances primitives de l’homme. La première a pour objet les choses Divines et n’a que quatre Lettres pour tout alphabet ; la seconde en a vingt-deux et s’applique aux productions, soit intellectuelles, soit temporelles du grand Principe : le même crime a privé l’homme de ces deux langues. S’il y avait une nouvelle prévarication, il se formerait pour lui une troisième langue qui aurait quatre-vingt-huit Lettres, et qui le reculerait encore plus de son terme. »

La réhabilitation

L’homme ne peut parcourir les régions fixes et réelles de purification, sans acquérir une existence plus active, plus étendue, plus libre ; c’est-à-dire sans respirer un air plus pur et découvrir un horizon plus vaste, à mesure qu’il approche du sommet désiré : comme nous voyons que plus les principes des corps se simplifient, plus ils acquièrent de vertus : et comme l’air grossier, qui dégagé des substances matérielles, remplit un espace si prodigieux relativement à celui qu’il occupait dans les corps, que l’imagination en est presque effrayée.

« Il en est de même de cette classe intellectuelle et invisible comme du simple physique élémentaire ; toute la Nature est volatile, et ne tend qu’à s’évaporer ; elle le ferait même en un instant, si le fixe qui la contient lui appartenait ; mais ce fixe n’est point à elle, il est hors d’elle, quoiqu’agissant violemment sur elle ; et elle ne forme jamais d’alliance avec lui, qu’elle ne commence par une dissolution, il y a aussi plusieurs degrés d’alliances et d’amalgames. »

Ainsi, semblables à ces globules d’air et de feu qui s’échappent des substances corporelles en dissolution, et qui s’élèvent avec plus ou moins de vitesse ; selon le degré de leur pureté et l’étendue de leur action ; nous ne pouvons douter qu’à leur mort, les hommes qui n’auront point laissé amalgamer leur propre essence avec leur habitation terrestre, ne s’approchent rapidement de leur région natale, pour y briller, comme les Astres, d’une splendeur éclatante ; que ceux qui auront fait quelque mélange d’eux-mêmes avec les illusions de cette ténébreuse demeure, ne traversent avec plus de lenteur l’espace qui les sépare de la région de la vie ; et que ceux qui se seront identifiés avec les souillures dont nous sommes environnés, n’y demeurent ensevelis dans les ténèbres et dans l’obscurité, jusqu’à ce que les moindres de ces substances corrompues soient dissoutes, et qu’elles fassent disparaître avec elles une corruption qui ne peut cesser qu’autant elles finiront elles-mêmes.

La chute de l’homme

L’homme n’avait reçu l’être que pour exercer son action sur l’universalité des choses temporelles, et il n’a voulu l’exercer que sur une partie ; il devait agir pour l’intellectuel contre le sensible, et il a voulu agir pour le sensible contre l’intellectuel : enfin, il devait régner sur l’Univers ; mais, au lieu de veiller à la conservation de son Empire, il l’a dégradé lui-même, et l’Univers s’est écroulé sur l’être puissant qui devait l’administrer et le soutenir.

Toutes les vertus sensibles de l’Univers se sont écroulées sur lui, l’ont comprimé avec toute leur force et toute leur puissance ; les vertus intellectuelles avec lesquelles l’homme devait agir de concert se sont trouvées séparées de lui et renfermées chacune dans leur sphère et dans leur région. Ce qui était simple pour lui est devenu multiple et subdivisé ; ce qui était subdivisé et multiple, s’est congloméré et l’a écrasé de son poids ; c’est-à-dire pour lui que le sensible a pris la place de l’intellectuel, et l’intellectuel celle du sensible.

La naissance de l’homme

Le corps de l’homme, avant sa formation individuelle, est répandu dans toute la forme du père ; il est uni à toutes les puissances qui sont dans son principe générateur. Quand le moment de la naissance est arrivé, le germe corporel répandu dans la forme universelle du père se concentre, se rassemble en un point. Alors il s’exile et s’ensevelit dans le sein ténébreux de la femme où mélangé avec les fluides impurs et enveloppé de mille barrières, il n’a pas la même jouissance de l’air où ses organes les plus parfaits sont sans fonction et où il ne reçoit la vie et les secours des éléments que par un point passif tandis que la destination de l’homme était de correspondre activement avec toute la Nature.

Dans cet état, les premiers mouvements de l’homme ont été de se dégager de ces masses étrangères qui l’accablaient ; ça a été de séparer péniblement ses propres vertus d’avec toutes ces matières impures avec lesquelles elles étaient confondues ; enfin ça a été de réunir toutes ses forces pour sortir de dessous des décombres de l’Univers. Mais des lois positives s’opposant à ce qu’un être puisse s’allier avec ce qui lui est contraire sans porter l’empreinte et les traces de son amalgame, il fut impossible au premier homme de sortir de son cloaque avec la même pureté, la même agilité qu’il avait avant de s’y précipiter ; et voilà pourquoi l’homme particulier après avoir séjourné dans le sein de la femme, après y avoir exercé l’action dont il est alors susceptible pour démêler son germe sensible d’avec tous les liens et les entraves qui le resserrent paraît au jour renfermé dans une forme plus opaque que le fluide subtil qui enveloppait son propre germe.

Après que l’homme primitif eût surmonté cet obstacle, il lui resta un pas très considérable à faire ; ce fut de s’unir successivement aux forces des divers éléments qui agissaient dans son atmosphère ; telle est aussi la tâche de l’homme particulier qui, après avoir été admis à la lumière élémentaire, languit encore longtemps avant d’accoutumer ses yeux à son éclat, son corps aux impressions de l’aire et ses organes aux différentes lois établies pour les formes corporelles. De même, qu’en recevant la naissance, l’homme est censé avoir rassemblé en lui ses vertus physiques et particulières, avec lesquelles il peut parvenir à participer aux forces universelles de l’atmosphère, qu’il a quittées et qui sont extérieure à lui ; de même l’homme intellectuel, délivré de sa première prison, et admis avec sa forme matérielle sur la terre doit travailler à recouvrer successivement ses propres forces et ses propres vertus intellectuelles, avec lesquelles il peut tendre à recouvrer celles dont il a été séparé par le crime.

Mais ce que l’homme physique fait d’une manière passive et aveugle dans le corporel, l’homme intellectuel doit le faire par les efforts constants et libres de sa volonté. L’homme intellectuel, qui s’est réduit volontairement à une classe inférieure et bornée, doit généraliser son être, et en étendre les vertus jusqu’aux extrémités de son enceinte particulière, s’il veut atteindre jusqu’à cette enceinte universelle et sacrée dont il s’est banni.

Enfin, la volonté étant en quelque sorte le sang de l’homme intellectuel et de tout être libre ; étant l’agent par lequel seul ils peuvent effacer en eux et autour d’eux les traces de l’erreur et du crime, la revivification de la volonté est la principale tâche de tous les êtres criminels : et vraiment, c’est un si grand oeuvre, que toutes les puissances y travaillent depuis l’origine des choses, sans avoir encore pu l’opérer généralement.

Le travail de l’homme

Après avoir reçu dans un lieu ténébreux une enveloppe grossière, après avoir rallié en lui les forces intellectuelles qui lui sont propres, l’homme a encore à multiplier ces mêmes forces ; en les réunissant à celles qui sont extérieures à lui, il a à recueillir les vertus de tous les règnes terrestres ; à distinguer toutes les espèces de chaque règne , et même les caractères particuliers de chaque individu ; il a enfin à scruter jusqu’aux entrailles de la Terre , pour y apprendre à connaître les désordres qui font l’horreur et la honte de notre triste demeure, lesquels sont indiqués soit par les métaux qui n’ont point d’huile, soit par la fureur des volcans, soit par le grand nombre d’insectes et d’animaux malfaisants et vénéneux, qui sont bannis de dessus de la terre, et se cachent dans ses gouffres, comme si le jour leur était interdit.

Ce qui rend les travaux si imposants, c’est que l’homme laisse écouler en vain le nombre de temps accordé pour les accomplir, et il lui faut un second nombre de temps plus considérable, plus pénible que le premier attendu qu’il a alors et la première et la seconde force à acquérir. Si pendant ce second nombre de temps, ce malheureux homme ne remplit pas mieux sa tâche qu’il ne l’a fait dans le premier, il en faut nécessairement un troisième encore plus rigoureux que les deux autres, et ainsi de suite, sans qu’on puisse se fixer d’autres termes à ses maux, que ceux qu’il leur fixera lui-même, en sacrifiant toutes les vertus qui sont en lui.

La vie terrestre de l’homme est la matrice de l’homme futur, en effet, celui-ci portera dans une autre terre , le plan , la structure, la manière d’être qu’il se sera fixée lui-même dans son séjour ici-bas.

La chute de l’homme se répercute dans tout l’Univers

L’homme choisi par la Sagesse suprême pour être le signe de sa puissance, devait resserrer le mal dans ses limites, et travailler sans relâche à rendre la paix à l’Univers. Et sa sublime destination suppose assez quelles doivent être ses vertus puisque lui seul devait posséder toutes les forces partagées entre tous les êtres rebelles.

Mais, s’il a laissé corrompre sa virtuelle activité ; si au lieu de subjuguer le désordre, il a fait alliance avec lui, ce désordre a dû s’accroître et se fortifier, au lieu de s’anéantir. Ce qui doit faire concevoir comment tous les êtres de la région sensible peuvent être aujourd’hui dans un plus grand pâtiment, ou un plus grand travail, qu’ils ne l’étaient avant le crime de l’homme. De plus, le crime de l’homme va jusqu’à se répercuter dans des sphères intelligibles, sur les Ministres de la sagesse divine.

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